Alors que les négociations sur la délimitation des frontières maritimes doivent reprendre la semaine prochaine, le ministre israélien de l’Énergie, Yuval Steinitz, a invité hier le chef de l’État Michel Aoun à des pourparlers « face à face » pour mener des négociations « ouvertes ou secrètes » sur cette question. Le Liban et Israël étant techniquement en guerre, cette invitation est pour le moins surprenante, alors qu’en fin de semaine dernière, M. Steinitz avait accusé le Liban d’avoir « changé » sa position sur la démarcation de leurs frontières en Méditerranée, ce qui pourrait conduire leurs pourparlers à une « impasse ». La présidence libanaise avait alors démenti les propos du ministre israélien, les estimant « sans fondement ». Cette seconde série de tweets publiée hier par le ministre Steiniz intervient alors que l’armée israélienne, par le biais de son porte-parole arabophone Avichay Adraee, a adressé des messages de vœux aux Libanais à l’occasion de la fête de l’Indépendance. « Monsieur le Président Michel Aoun. Tout d’abord, et malgré les relations actuelles entre nos deux pays, je souhaite au peuple libanais une bonne fête de l’Indépendance et un redressement rapide du pays face aux crises qu’il traverse », a écrit en arabe le ministre israélien sur son compte Twitter. « Malheureusement, il semble que vous ne connaissiez pas toute la vérité concernant la démarcation des frontières sur laquelle les Libanais ont changé plusieurs fois de position au cours des quinze dernières années », a-t-il souligné. « Je suis persuadé que si nous parvenons à nous rencontrer en face à face dans un pays européen afin de mener des négociations ouvertes ou secrètes, cela nous donnerait une belle opportunité de résoudre ce litige une bonne fois pour toutes », a-t-il estimé, affirmant qu’un tel règlement serait bénéfique « pour l’avenir économique, et le bien-être » des Libanais et des Israéliens. La présidence libanaise n’a pas réagi hier à cette invitation. Le Liban et Israël ont amorcé en octobre des pourparlers indirects, sous l’égide de l’ONU et avec la médiation des États-Unis, au siège de la Force intérimaire des Nations unies au Liban (Finul) à Naqoura afin de régler leur différend sur le statut d’une zone maritime contestée de 860 km2, selon une carte enregistrée auprès de l’ONU en 2011, mais que le Liban juge aujourd’hui erronée. Des déclarations récentes du président Aoun sont venues, pour la première fois, confirmer publiquement que le Liban réclamait une zone plus large que celle annoncée initialement. Les discussions sont menées dans chaque délégation par de hauts fonctionnaires, et non des membres des gouvernements des deux pays. Après trois rounds de pourparlers, qui n’ont pas permis pour l’instant de débloquer la situation, une quatrième séance est prévue début décembre.
Une tentative de séparer Aoun de son allié ?
Au-delà des négociations proprement dites, comment interpréter ce tweet du ministre israélien ? Sami Nader, analyste politique et économique, retient deux aspects significatifs. « D’une part, c’est un appel à la négociation directe, alors que les pourparlers en cours se font par l’intermédiaire du facilitateur américain, sous l’égide de l’ONU, dit-il à L’OLJ. Ce que cherchent donc les Israéliens, c’est de changer le format actuel pour se diriger vers des pourparlers qui seraient bilatéraux. D’autre part, ce qui est frappant, c’est que le responsable israélien s’adresse directement au président de la République, qui est, de surcroît, un allié du Hezbollah. Et ce deux semaines après les sanctions américaines contre le chef du Courant patriotique libre, le député Gebran Bassil. Ce serait donc, du côté israélien, une tentative de plus de séparer Michel Aoun de son allié hezbollahi. »
L’analyste place également cette déclaration du ministre israélien dans le contexte du climat de normalisation avec plusieurs pays arabes, dont l’État hébreu cherche à profiter pour pousser le Liban dans cette direction. Estimant qu’une telle requête venant du ministre israélien mettrait la présidence de la République dans l’embarras, Sami Nader juge que la meilleure réponse de Baabda serait de ramener, dans une éventuelle réponse, les négociations sur les frontières maritimes à leur contexte actuel sous l’égide de l’ONU et du facilitateur américain.
Pour sa part, Walid Charara, éditorialiste à al-Akhbar et spécialiste des affaires internationales, pense que ces tentatives israéliennes sont « futiles et destinées à l’échec ». « L’État hébreu tente de profiter des dissensions internes libanaises pour semer le trouble et faire montre de bonnes intentions à l’égard de la population et des autorités libanaises, dit-il à L’OLJ. Mais c’est un discours superficiel et galvaudé qui ne trompe personne. »
L’expert rappelle que les autorités israéliennes ne ratent pas une occasion de pêcher en eaux troubles, à l’instar de l’initiative de la municipalité de Tel-Aviv qui avait illuminé sa façade aux couleurs du drapeau libanais, au lendemain de la double explosion du 4 août au port de Beyrouth, en signe de « solidarité » avec Beyrouth.
« Ces tentatives ne peuvent qu’échouer parce que personne au Liban, de quelque sensibilité politique que ce soit, ne peut oublier les actions des Israéliens et leur occupation du Sud, poursuit M. Charara. Ils pourraient également chercher à tirer profit de ce qui semble être une tendance arabe à la normalisation avec eux. Mais finalement, cette normalisation se limite à quelques gouvernements du Golfe, même les Saoudiens hésitant à reconnaître les réunions qu’ils tiennent avec eux (comme cela a été le cas hier, NDLR). Et la normalisation continue d’être rejetée en bloc par les peuples arabes. »
commentaires (13)
MR charara je ne suis pas un arabe , je suis un libanais chretien qui voudrait la paix et la prospérité de mon défunt pays
Robert Moumdjian
04 h 07, le 26 novembre 2020