Le chef du Courant patriotique libre (CPL, aouniste), Gebran Bassil, qui ne rate jamais une occasion pour critiquer le Premier ministre sortant, Nagib Mikati, a estimé samedi que le Liban n'avait pas besoin d'argent, après l'octroi par l'Union européenne (UE) d'une enveloppe d'un milliard d'euros, mais d'une « décision politique » pour renvoyer les migrants en Syrie.
Depuis l'annonce jeudi du plan d'aide de l'UE, lors d'une visite de la cheffe de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, à Beyrouth, la presse et de nombreux responsables libanais ont assimilé ces fonds à une façon de «soudoyer» les autorités pour que les réfugiés et migrants syriens restent au Liban. Une façon de voir les choses qui a été démentie par une source diplomatique occidentale à L'Orient-Le Jour et, à plusieurs reprises, par M. Mikati.
Le Liban « n'est pas à vendre »
Malgré ces démentis, Gebran Bassil a estimé que l'UE « a préparé un package d'aides afin que le Liban empêche la migration vers Chypre », dont les côtes sont toutes proches, et qui a décidé de refouler tous les migrants arrivant sur son littoral. « La Commission européenne lutte contre la migration des Syriens vers les pays » de l'Union, a-t-il déclaré lors d'une conférence de presse, pointant du doigt « une volonté de remplacer le peuple libanais par les réfugiés syriens, de changer l'identité du peuple et du territoire ». Mais « le territoire et le peuple libanais ne sont pas à vendre, ni à louer, a-t-il lancé. Vous pouvez peut-être acheter des responsables, mais pas notre peuple et notre territoire ».
Selon des chiffres qualifiés d'officiels par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), le Liban compte 1,5 million de Syriens, parmi lesquels 779 645 sont enregistrés auprès de cet organisme et sont donc concrètement dotés du statut de « réfugiés ».
S'adressant à Nagib Mikati, le député aouniste l'a interrogé sur la façon dont le milliard d'euros offert par Bruxelles sera « réparti ». « Est-il vrai que l'accord inclut (d'accepter) les retours des migrants refoulés par Chypre ? », a-t-il ajouté, déclarant que le Liban « n'a pas besoin d'argent, mais d'une décision politique pour le retour des migrants ». «Comment pouvez-vous accepter un milliard d'euros sur 4 ans ?», a encore fustigé Gebran Bassil, qui a laissé entendre que les responsables libanais s'étaient laissé acheter « à bon marché ». « Il y a de vastes territoires en Syrie qui peuvent accueillir toutes les personnes déplacées. Si le milliard avait été versé aux déplacés, une grande partie d'entre eux seraient rentrés en Syrie », a-t-il poursuivi.
Le député de Batroun a finalement exhorté les autorités à « frapper sur la table », pour être entendues par l'UE et à «mettre en oeuvre un plan pour le retour» des migrants. « L'armée doit fermer les frontières terrestres avec la Syrie et le Parlement doit adopter une loi qui exige que les migrants illégaux soient déportés en Syrie », a-t-il appelé.
Une « calamité » selon les députés de la Contestation
Outre Gebran Bassil, plusieurs députés issus de la Contestation ont également dénoncé, derrière le don d'un milliard d'euros au Liban, une « calamité », estimant que le dossier des migrants nécessite « une stratégie et un plan clairs, ainsi qu'un calendrier spécifique ». « La junte au pouvoir a échangé la sécurité, la stabilité et l'avenir des Libanais contre trente pièces d'argent », le prix pour lequel Judas a trahi Jésus selon le Nouveau Testament, ont écrit Yassine Yassine, Melhem Khalaf, Ibrahim Mneimné, Najat Saliba, Paula Yacoubian et Firas Hamdane, dans un communiqué. « Ce qu'il s'est passé avec l'UE n'est pas une réussite mais se rapproche d'une calamité nationale », ont-ils estimé, dénonçant un « pot-de-vin» et insistant sur le fait que le gouvernement doit à la place « développer une stratégie pour organiser le retour sûr » des Syriens dans leur patrie.
Tout comme Gebran Bassil, les députés dits « du changement » ont également critiqué la déclaration faite jeudi soir par Nagib Mikati selon laquelle l'accord avec l'UE prévoit également des visas de travail « saisonniers » pour les Libanais. M. Bassil a dénoncé une « émigration progressive masquée » des Libanais sous ce couvert, tandis que les députés de l'opposition ont critiqué le fait que cette possibilité a été évoquée « au lieu d'entreprendre des réformes structurelles qui stimuleraient l'économie libanaise et créeraient des opportunités d'emploi pour les jeunes ».
Aide inconditionnelle
Réagissant aux nombreuses accusations et supputations visant son cabinet depuis l'annonce du milliard d'euros, Nagib Mikati, qui s'était déjà défendu de tout « deal » douteux avec les autorités européennes dans un entretien télévisé jeudi soir, a réitéré que les fonds ne sont pas « un pot-de-vin pour que les migrants restent au Liban ». Ces accusations sont « infondées », selon le Premier ministre sortant, qui a insisté sur le fait que « le don n'est absolument pas soumis à des conditions ». Assurant que le plan d'aide sera mis en oeuvre « de manière conforme », il a dénoncé une « tentative de faire échouer toute tentative du gouvernement » sur le dossier des migrants syriens.
Les fonds offerts par l'UE sont « une aide inconditionnelle au Liban et aux Libanais », a-t-il ajouté en rappelant que ces aides seront notamment réparties entre les secteurs de la santé, de l'éducation, au soutien d'un programme de sécurité sociale, à l'armée et aux forces de sécurité. Nagib Mikati a en outre réaffirmé que son gouvernement est «déterminé» à expulser vers la Syrie tout migrant illégal. « Cette question est indiscutable et des ordres ont été donnés aux institutions compétentes » à cet effet. « Est-il dans l'intérêt du pays d'isoler le Liban de ses amis en Europe et dans le monde et de remettre en question toute initiative louable visant à soutenir notre pays ? », a ajouté le résident du Sérail, qui a dénoncé une « course à la surenchère populiste ».
En fin de journée, M. Mikati s'est entretenu au téléphone avec le président de la Chambre, Nabih Berry. Il lui a exprimé son souhait que M. Berry convoque une séance parlementaire pour "débattre de la question des migrants et mettre un terme à l'exploitation politique de ce dossier, au détriment de l'intérêt public".
Le gouvernement évoque un plan d'expulsion des migrants illégaux, ainsi que sa volonté de déporter les détenus depuis le 15 avril, tandis que la communauté internationale continue de s'opposer à tout retour non-volontaire, pour notamment protéger les réfugiés politiques qui risquent la persécution dans leur propre pays. Une telle initiative nécessiterait également l'aval du régime syrien. Depuis le départ, la Syrie exprime son souhait d’ouvrir ses portes pour ses citoyens, mais insiste à ce jour pour avoir un interlocuteur officiel en face. Concrètement, cela signifie que le régime de Bachar el-Assad cherche une normalisation de ses relations avec le Liban, un processus également souhaité par le Hezbollah, mais qui divise profondément le reste des Libanais.
Avant de parler de "décisions politiques", assurons nous d'avoir les bons politiciens, des patriotes qui agissent pour la nation et non pour leur propre clan.
10 h 43, le 06 mai 2024