Albert Kostanian a ses opinions politiques et ne s’en est jamais caché, une amitié avec Samy Gemayel et un long combat pour un Liban jeune, renouvelé, ouvert et intègre. Mais ses convictions, rangées pour le moment dans un tiroir par souci d’objectivité, ne l’empêchent pas de recevoir sur le plateau de son émission Vision 2030, diffusée les lundis soir sur la LBCI, des politiciens de tous bords. Faisant ainsi preuve de retenue et de respect, y compris envers ceux dont il ne partage pas les idées. « Je ne suis pas dans le show ni dans l’agression. »
Assis en retrait dans un café de la rue Pasteur qui se reconstruit encore, en avance sur le rendez-vous, il travaille, le téléphone rivé à l’oreille. « Costanian avec un C ou un K ? » « Avec un K, précise-t-il, l’administration française en a décidé ainsi lorsque je vivais là-bas, et c’est resté. » Élégant, une francophonie naturelle dans sa pensée et ses valeurs, le financier devenu sans le chercher journaliste et animateur de l’émission politique et économique la plus regardée du moment sort peu à peu de ses réserves, au fil des questions. Chez lui, pas de grosse tête, pas de « starification », mais une courtoisie et juste la satisfaction du travail bien accompli. Comme un sentiment d’être utile, à sa manière, face à l’effondrement économique et politique du pays, en le dénonçant d’une manière à la fois intelligente et courtoise.
Lucide
Rester neutre n’est pas une mince affaire pour cet « élève assidu et plutôt moyen » au Lycée français, mais surtout « agitateur », qui a largement participé aux mouvements estudiantins et créé avec Samy Gemayel et un groupe de militants le parti Loubnanouna en 2006, avant de rejoindre les Kataëb à la mort de Pierre Gemayel. Et c’est cela, aussi, qui le rend crédible. De même qu’un parcours riche et enrichissant. Des études en sciences économiques à l’USJ, alors qu’il rêvait d’être architecte, en raison de « contraintes financières et une nécessité de rentabilité rapide », puis HEC, une parenthèse qui changera sa vie, « à partir de là beaucoup plus axée sur le travail ». « La France m’a appris la méritocratie, le bonheur de faire partie d’une citoyenneté, la valeur de la culture et celle de l’homme », dit-il. « J’ai énormément travaillé », poursuit-il, notamment au sein du cabinet Arthur D. Little en optant dès 2004 pour le conseil en stratégie.
Ce qui l’entraîne dans des journées sans fin, des voyages sans fin, des missions différentes dans des domaines comme les télécoms, le pétrole, l’industrie automobile. Jusqu’à fin 2008, quand Albert Kostanian, qui a tout ce temps gardé des liens étroits avec le Liban, prend une année sabbatique de son cabinet et rentre au pays pour diriger les élections législatives des Kataëb, auprès de Samy Gemayel. « C’est un peu le deuxième volet de ma vie. Nous avions entrepris un grand travail de modernisation du parti qui a payé avec la victoire de cinq députés. » En 2014, le cabinet de conseil Arthur D. Little le charge de fonder et diriger ses bureaux au Liban. Cette proposition sonnera son retour définitif en 2015, avec ses deux enfants et sa femme, Maguy Khoubbieh, qui partage avec lui son amour des villages libanais. Ensemble et avec la complicité de Joy Homsy, ils vont créer une association baptisée Les Plus Beaux Villages du Liban. « En 2018, le chapitre trois de ma vie commence… »
Un appel qui changera son destin
En mars de cette année-là, il reçoit un coup de téléphone, « le plus bizarre de ma vie », de Pierre el-Daher, PDG de la LBCI, qui lui propose de remplir la case laissée par le départ de Marcel Ghanem. « Tu sauras avec ton esprit analytique traiter de l’actualité, lui dit-il, à un moment où le Liban est passé à des problématiques plus techniques, économiques et financières. » « J’ai hésité, avoue Albert Kostanian. J’avais des idées politiques bien affirmées et je n’étais pas journaliste. Puis je me suis dit que c’était quelque part ma chance de faire quelque chose de différent, d’avoir un impact, une nouvelle vie, et de me réinventer… » Sa première émission sera diffusée le 26 mars 2019 en différé. « J’étais nerveux, c’est un peu normal pour une personne qui n’a jamais fait de télé et qui est propulsée en prime time dans l’émission politique principale d’une chaîne de télévision forte. » Naturellement francophone, il soigne son arabe, dépasse le trac du direct, choisit soigneusement ses invités, diversifie ses sujets et s’impose très vite en sobriété dans un univers normalement porté sur le show. L’audience des débuts est « intellectualiste », avec de nombreux sujets économiques et techniques. Mais ça c’était avant. « Avec la thaoura et la faillite économique, la demande a évolué. Les gens voulaient comprendre. »
Avec trois saisons au compteur et un total de 72 émissions cette semaine, des invités aussi diversifiés que Charbel Nahas, Ibrahim Kanaan, Pétra Khoury, Raghida Dargham, Gebran Bassil ou encore Carlos Ghosn et Khalil Helou, Albert Kostanian séduit et intéresse. Son style ? « Je donne la parole, j’écoute. Je ne veux pas être partisan, même si j’ai les idées très claires, répond-il. J’ai pris le parti du journaliste engagé, mais du journaliste très réservé aussi qui cherche avant tout l’information et l’objectivité, même si parfois c’est en contradiction avec mes idéaux. Je mets mon ego de côté, et quand un invité ment, je ne l’agresse pas mais je le pousse dans ses retranchements… » Et la politique ? « Ce n’est pas encore le moment… C’est un travail à temps plein qui me transformerait en personnage public, ce que je ne suis pas encore. » Et de poursuivre : « J’ai construit une cabane dans la forêt, perdue dans les hauteurs du Metn. Aujourd’hui, ce qui me fait le plus plaisir, c’est d’y être, de discuter avec des amis, de partager des repas et de penser à l’avenir… Le vieux Liban est mort ou se meurt. Si je veux être optimiste, je dirais que c’est là une opportunité de rompre avec un système mafieux, une corruption industrialisée, une absence d’histoire et un système d’acculturation. Il y a un nouveau système qui doit se créer grâce à une jeunesse qui n’a pas vu la guerre. » Et d’ajouter : « Si je veux être optimiste… »
commentaires (7)
Étant le frère de..., je ne peux pas trop commenter. Mais je tiens à dire BRAVO>
GABRIEL EL DAHER
16 h 14, le 15 janvier 2021