Dans la longue bataille pour la vérité sur la dilapidation de dizaines de milliards de dollars et de l’épargne de toute une population, l’on pourrait penser qu’un pas a été franchi hier par le Parlement. Il faut néanmoins attendre sa mise en œuvre pour en mesurer l’efficacité et la portée. Réunie en séance plénière au palais de l’Unesco, l’Assemblée s’est déclarée en faveur d’un audit juricomptable général de tous les comptes publics, qui engloberait la Banque du Liban (BDL) et toutes les institutions étatiques. Cette déclaration, présentée sous la forme d’une « décision » ou encore d’une « résolution » – alors qu’une loi serait nécessaire –, a été adoptée comme une réponse commune à la lettre concernant ce dossier envoyée mardi à la Chambre par le chef de l’État, Michel Aoun. Dans cette lettre, envoyée quelques jours après le désistement du cabinet Alvarez & Marsal, le président de la République avait souligné que si cet audit juricomptable n’était pas mené à bien, le Liban risquait de devenir un pays « failli » aux yeux de la communauté internationale.
« Tous les comptes de la BDL, des ministères, des offices autonomes, des conseils, des caisses, des institutions financières et des municipalités doivent être soumis, en parallèle, à l’audit juricomptable, sans aucun obstacle ni aucun recours au secret bancaire pour justifier une obstruction », précise le texte de la résolution adoptée hier. Après lecture de la décision, le président de la Chambre a demandé aux députés présents si quelqu’un y objectait, et comme aucune main ne s’est levée, elle a été considérée comme approuvée à l’unanimité. Selon les observateurs de l’association Legal Agenda, le texte de la résolution avait été rédigé à l’avance par le bureau de l’Assemblée.
Un précédent relativisé
La décision de la Chambre, présentée comme un « exploit » et « un précédent » par le camp du chef de l’État, est toutefois relativisée par des constitutionnalistes indépendants de la société civile interrogés par L’Orient-Le Jour. Ainsi, Mireille Najm Checrallah note « qu’elle n’a aucune valeur normative ou législative » contraignante, et précise que la loi sur le secret bancaire (1956) ne peut être modifiée que par une loi. Ces milieux jugent dès lors que la décision parlementaire « ne fait que renvoyer la balle dans le camp de l’exécutif », sans contraindre le gouverneur de la Banque du Liban à modifier ses réserves. Alvarez & Marsal a justifié la résiliation de son contrat par le refus du ministre sortant des Finances, Ghazi Wazni, et de la BDL de lui fournir les documents requis « dans un futur proche ».
De son côté, Nizar Saghieh, de l’Agenda légal, affirme à L’OLJ que « la décision du Parlement, en réponse au président de la République, est une décision politique qui n’a aucun effet légal ». « Contrairement à ce qui se dit, elle ne change rien au secret bancaire et n’a aucun effet sur les prétextes invoqués par le gouverneur de la BDL », martèle-t-il. Bien au contraire, « la séance parlementaire donne l’impression que le gouverneur de la BDL s’en sort sans avoir rendu des comptes », dit-il encore.
Réagissant à ces réserves et conscient de leur enjeu, le député Georges Adwan (Forces libanaises) convient que la décision du Parlement « a une portée morale beaucoup plus que juridique ». « Mais, ajoute-t-il, si elle n’est pas respectée, le Parlement peut facilement l’invoquer pour aller vers le vote d’une loi levant le secret bancaire de façon limitative dans le temps et exclusivement aux fins d’audit par la société comptable » . Par ailleurs, nuance le député, « les conclusions de la société d’audit ne seront qu’une expertise. Les irrégularités et les infractions qu’elle mettra au jour seront ensuite examinées par un tribunal spécial prévu par la loi 44 de 2015 » .
S’exprimant sur son compte Twitter après la réunion parlementaire, le président Aoun, qui était en contact permanent avec le député Ibrahim Kanaan durant la séance, a estimé que « la réponse du Parlement à mon souhait de mener un audit de toutes les institutions et administrations de l’État est un véritable exploit ». Et d’ajouter que cette décision envoie un message positif éclatant à la communauté internationale « qui nous soutient dans notre combat contre la corruption et le gaspillage ».
Dans un tweet publié à l’issue de la réunion parlementaire, le chef du Courant patriotique libre (CPL, aouniste), Gebran Bassil, a lui aussi estimé qu’en prenant sa décision, le Parlement avait établi « un véritable précédent ». Et de relever à l’intention des sceptiques que « la décision » prise est « plus importante qu’une recommandation ». « Maintenant, le cabinet d’audit (Alvarez & Marsal) doit reprendre immédiatement son travail et recevoir ce qu’il a demandé (en référence aux documents que la BDL a refusé de fournir invoquant le secret bancaire, NDLR), et le gouvernement doit mener des audits dans toutes les administrations », a-t-il écrit, estimant que le peuple libanais a « fait un pas en avant pour récupérer une partie de ses droits ». « Il ne reste qu’à passer à la mise en œuvre », a-t-il ajouté.
« Consensus »
« Je souhaite qu’il y ait un consensus au sein du Parlement concernant l’audit juricomptable global et complet sur tous les secteurs, et les ministères, administrations et caisses, et non seulement au sein de la Banque du Liban », avait affirmé le président Berry en début de séance. « Nous avons senti de la part de toutes les formations parlementaires un consensus sur un audit global. Profitons de cette occasion pour montrer aux Libanais et au monde que nous sommes sérieux dans notre approche de ce dossier », avait encore dit le chef du législatif.
La séance a clairement montré le clivage existant entre les Forces libanaises et le Courant patriotique libre, d’une part, et le courant du Futur et le Parti socialiste progressiste, de l’autre, les uns insistant sur la nécessité de se concentrer, avant tout, sur l’audit de la BDL, les autres prônant un audit général, dans une volonté de mettre en lumière les trafics d’influence qui ont présidé aux contrats conclus avec les navires centrales. Sur ce point, d’aucuns relèvent également que se lancer dans un audit de cette ampleur pourrait éterniser le processus et, finalement, noyer le poisson.Pourtant, le chef de l’État avait clairement affirmé, dans une déclaration récente, que l’audit des comptes publics est « indivisible ». Une affirmation corroborée par le député Élias Bou Saab (proche du CPL) qui a affirmé que les ministères ne tenaient pas de comptes particuliers et que leurs comptes font partie des comptes publics de la BDL.Pour sa part, en cours de séance, le député Samir Jisr (courant du Futur) avait répondu aux critiques du député Georges Adwan, qui avait laissé entendre que le Premier ministre désigné, Saad Hariri, connu pour son soutien à Riad Salamé, était contre l’audit de la BDL. « Je veux répondre à un cher collègue, avec qui nous menions le même combat et qui a laissé entendre que le Futur ne veut pas de l’audit. La BDL n’a pas refusé de livrer à Alvarez & Marsal les documents requis, mais seulement ceux qui tombent sous le secret bancaire. Il a laissé au ministre des Finances le soin de livrer le reste des documents, mais le ministre ne l’a pas fait, car il ne voulait pas assumer lui seul cette responsabilité », a précisé M. Jisr.
Le statut de « martyrs de l’armée » accordé aux victimes du 4 août
Hier, au cours de la séance plénière du Parlement consacrée à l’audit juricomptable, les députés ont adopté un texte de loi présenté par le groupe parlementaire du président de la Chambre prévoyant de donner aux victimes de la double explosion du port de Beyrouth, le 4 août dernier, le statut de « martyrs de l’armée libanaise ». Avec ce statut, les familles des victimes pourront bénéficier des mêmes indemnités que celles qui sont prévues pour les proches des militaires tués dans l’exercice de leurs fonctions. Cette revendication est portée par les familles des victimes depuis plusieurs semaines. Cette loi prévoit encore de considérer toutes les personnes blessées dans l’explosion comme bénéficiaires à vie de la Caisse nationale de Sécurité sociale (CNSS).
commentaires (11)
est ce vous savez combien ca coute un député au Liban NON biensur, moi je vais vous le dire : 1 il faut qu il paye le parti qui le présente 2 il faut qu il arrose à droit et à gauce ca doit faire dans le 18 millions de Dollars ... et combien de temps il faut rester député pour amortir cette somme ? A VOS CALCULETTES Nos députés qui ont approuvé sans voter l audi ne prennent aucun risque car ils ne savent pas par qui commencer .17 communautes et 4 millions de montons ca va etre difficile , je pense un tirage au sort s impose §§§§§§§§§§§§§§§§§§§
youssef barada
20 h 38, le 29 novembre 2020