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Politique - Focus

Aoun, plus que deux ans pour sauver ce qui peut l’être

Si le président veut véritablement laisser des traces dans l’histoire, « il doit renverser la table et s’émanciper aussi bien de ses alliés que de sa propre famille politique »

Aoun, plus que deux ans pour sauver ce qui peut l’être

Le président libanais Michel Aoun lors d’un point presse au palais de Baabda, lundi 21 septembre 2020. Photo Dalati et Nohra

« Je capitule pour éviter toute effusion de sang, limiter les dégâts et sauver ce qui reste. » Tels sont les propos solennels prononcés le 13 octobre 1990 par Michel Aoun. Ce dernier, alors chef de gouvernement militaire, s’était réfugié à l’ambassade de France d’où il annonçait sa capitulation face aux avancées des troupes syriennes qui cherchaient à le bouter hors du pouvoir. À l’époque, le pays était à feu et à sang. Nombreux sont, aujourd’hui, ceux qui sont tentés d’établir un parallèle avec la situation actuelle et l’état de délabrement auquel est arrivé le Liban alors que le mandat de M. Aoun « fête » ses quatre ans et qu’il ne lui reste donc que deux ans. Sauf que cette fois-ci, le chef de l’État refuse de s’avouer vaincu et de capituler, comme il l’avait fait il y a trente ans. Conscient, notamment depuis la révolte du 17 octobre, qu’il a perdu de son aura après avoir échoué à traduire dans les faits ses promesses de « réformes et de changement » – le slogan du mouvement aouniste –, le chef de l’État sait pertinemment que le défi à relever d’ici à la fin de son mandat est énorme. Or, il ne dispose plus que de deux ans pour espérer inverser une situation des plus catastrophiques sur plusieurs plans et quitter Baabda sur l’image dont il rêve, celle d’un chef d’État-arbitre et rassembleur, ternie par le favoritisme qu’il n’a cessé de pratiquer à l’égard de son beau-fils Gebran Bassil et la formation qu’il dirige. C’est d’ailleurs en usant d’une réplique presque choquante que Michel Aoun avait qualifié sa relation avec le peuple libanais lors d’un entretien animé par notre collègue Ricardo Karam sur la chaîne MTV le 30 août dernier. À la question de savoir ce qui avait changé depuis 1990, M. Aoun avait répondu : « À l’époque, l’ennemi – les forces syriennes – était clairement identifié, l’objectif également (qui était de leur faire face). Aujourd’hui, l’affrontement est avec les Libanais dans la rue », avait dit le président. Il venait ainsi de reconnaître, on ne peut plus placidement, que la guerre n’est plus avec l’occupant syrien, mais avec le mouvement de contestation de son propre peuple qui n’a pas épargné le mandat Aoun de ses critiques en matière de gestion du pays.

On reproche notamment au président d’avoir leurré l’opinion publique en lui faisant croire à l’eldorado du changement. Également le fait de prôner d’abord la laïcité puis la défense des droits chrétiens dans le seul but de finir par protéger les droits des seuls chrétiens aounistes. Preuve en est, font valoir les observateurs, le célèbre accord de Meerab de 2016 entre le CPL et les FL sur le partage des postes d’influence au sein de l’État, une entente qui a fini en queue de poisson, les FL ayant dénoncé un accord au seul profit de la formation aouniste.

Contrôler les rouages de l’État

Au cours de ces quatre années, fort de son alliance avec l’imperturbable Hezbollah, Michel Aoun, qui constituait un parfait tandem avec son gendre, Gebran Bassil, ne caressait qu’un projet : contrôler les principaux rouages de l’État pour consolider son mandat. Ce fut le cas avec la politique étrangère, la sécurité et l’armée, la justice dont il a investi les moindres recoins et, aujourd’hui, les institutions financières, comme le soulignait il y a quelques jours dans nos colonnes notre correspondant politique Mounir Rabih. Tant et si bien qu’au cours de ce mandat, les réformes promises, dont la lutte contre la corruption, ont été oubliées en cours de route ou plutôt, diront les aounistes pour leur défense, « bloquées » par les autres forces politiques qui « n’ont pas laissé travailler » leur partenaire du CPL. Une accusation que le président de la République a souvent reprise à son propre compte.

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« Le problème de Michel Aoun, c’est qu’au lieu de convertir le jeu politique dysfonctionnel en place, il a fini par l’intégrer à son propre jeu et l’adapter à ses besoins », estime Nawwaf Kabbara, professeur de sciences politiques à l’Université de Balamand. Soutenu par la présidence, le CPL a cherché ainsi à conquérir des postes et à bénéficier des ressources de l’État, notamment des marchés publics, exactement comme les autres, rappelle le politologue. D’ailleurs, comment aurait-il pu faire autrement que les autres partis politiques libanais dont le financement ne peut être assuré que par ce biais, l’État étant devenu la vache à traire pour assurer la pérennité des partis ?

On reproche également au président d’avoir contracté un deal avec le Hezbollah, non pas tant pour « ramener le parti chiite dans le giron de l’État », comme il l’avait alors proclamé au lendemain de cette entente conclue en 2006, mais pour l’utiliser comme plateforme pour son ascension politique et son accès à la présidence le 31 octobre 2017. Un partenariat « intéressé » qui a fini par faire voler en éclats le peu de souveraineté dont jouissait encore le pays, et paver la voie à une emprise sans précédent du parti chiite sur le pouvoir de décision interne et externe.

Renverser la table

C’est notamment à ce type d’alliance que le président doit désormais renoncer pour espérer restituer à la magistrature suprême son prestige et restaurer son image de président-arbitre. Tout en rappelant que les grandes réformes sont, en règle générale, adoptées durant la première année de la mandature et non vers la fin, Karim Bittar, politologue, veut encore croire à la possibilité d’une percée quelconque dans les deux années qui restent. Si le président veut véritablement laisser des traces dans l’histoire, « il doit renverser la table et s’émanciper aussi bien de ses alliés (le Hezbollah) que de sa propre famille politique », dit le politologue en allusion à toutes les « entraves » qui ont empêché jusque-là M. Aoun d’accomplir ce qu’il souhaitait accomplir, comme il dit. Il devra donc former un gouvernement qui puisse refléter l’esprit de l’initiative du président français Emmanuel Macron. Comprendre : cesser de céder au chantage et mettre fin à la distribution des quotes-parts, un bond qualitatif qui nécessite beaucoup de courage politique et de volontarisme, souligne M. Bittar. Conscient de la difficulté d’une telle tâche à ce stade de la carrière de Michel Aoun, le politologue rappelle que les Libanais sont aujourd’hui sceptiques quant à sa capacité à « renverser l’ordre des choses, et à changer des aspects de sa politique et de sa personnalité ».

Tout en lui reprochant de multiples erreurs et faux pas, ainsi que sa « mentalité de domination » fondée sur le concept du « président fort » promu par le CPL, certains analystes soulignent toutefois la nécessité d’accorder au président des circonstances atténuantes. Il s’agit notamment de l’effondrement économique et financier dont le chef de l’État ne saurait assumer à lui seul la responsabilité, même s’il était déjà prévisible et donc remédiable, de la révolte du 17 octobre qui l’a ciblé ainsi que son gendre plus que les autres, le tout couronné par la pandémie de Covid-19 et par la double explosion du 4 août au port de Beyrouth. Autant d’ « accidents de parcours » qui ne lui ont pas facilité la tâche. « Ce qu’il peut encore faire pour les deux années qui lui restent, c’est faire en sorte que son mandat ne finisse pas en poussière, en ruines et en sang. Ce serait déjà pas mal si on pouvait échapper à cela », commente Joseph Bahout, directeur de l’Institut Farès de politiques publiques et d’affaires internationales à Beyrouth. Ne pouvant plus espérer, à l’instar de nombreux autres commentateurs, des changements drastiques vu le stade de décrépitude auquel est parvenu le pays, M. Bahout espère du moins que le président puisse limiter les dégâts, et garantir un minimum de stabilité politique et économique. « La fin du règne va coïncider avec une fin de vie. Donc, le président (aujourd’hui âgé de 85 ans) voudra nécessairement sauver le legs ou ce qui peut encore l’être », dit-il.

« Je capitule pour éviter toute effusion de sang, limiter les dégâts et sauver ce qui reste. » Tels sont les propos solennels prononcés le 13 octobre 1990 par Michel Aoun. Ce dernier, alors chef de gouvernement militaire, s’était réfugié à l’ambassade de France d’où il annonçait sa capitulation face aux avancées des troupes syriennes qui cherchaient à le bouter hors...

commentaires (14)

Mme Jalkh cite Mr Karim Bittar qui veut encore croire à la possibilité d’une percée quelconque dans les deux années qui restent. Si le président veut véritablement laisser des traces dans l’histoire, « il doit renverser la table et s’émanciper aussi bien de ses alliés (le Hezbollah) que de sa propre famille politique ». Mr Bittar pour un politologue, vous êtes bien optimiste voire un rêveur... Pour les traces dans l'histoire,hum hum !!

DJACK

16 h 19, le 02 novembre 2020

Tous les commentaires

Commentaires (14)

  • Mme Jalkh cite Mr Karim Bittar qui veut encore croire à la possibilité d’une percée quelconque dans les deux années qui restent. Si le président veut véritablement laisser des traces dans l’histoire, « il doit renverser la table et s’émanciper aussi bien de ses alliés (le Hezbollah) que de sa propre famille politique ». Mr Bittar pour un politologue, vous êtes bien optimiste voire un rêveur... Pour les traces dans l'histoire,hum hum !!

    DJACK

    16 h 19, le 02 novembre 2020

  • "Aoun, plus que deux ans pour sauver ce qui peut l’être"...trop d'optimisme, "2 ans" bon c'est des mathématiques simples mais "sauver" ??? C'est une hyperbole qui dépasse même le plus impossible des rêves...

    Wlek Sanferlou

    22 h 16, le 31 octobre 2020

  • Le titre : .... Aoun, plus que deux ans pour sauver ce qui peut l’être.... Seule réaction ou réponse? LOOOOOOOLL :) Triste d'en rigoler mais bon...Un peu de sérieux. Le gars qui a tout foiré dans sa vie militaire et politique ...Il va sauver ce que SES PROPRES décisions son entourage et alliés ont détruit ??

    LE FRANCOPHONE

    22 h 10, le 31 octobre 2020

  • Il n'a rien fait AVANT pourquoi ile le fera APRES?

    IMB a SPO

    18 h 29, le 31 octobre 2020

  • Un vrai tsunami...

    Gros Gnon

    12 h 38, le 31 octobre 2020

  • Aucun souci. Il gardera une trace dans l’histoire. Mais non , là où il l’espérait. L’histoire parle toujours de sombres personnages qui ont marqué négativement leur pays. Aoun en fait déjà partie. Que ce soit lors de ses aventures guerrières inconscientes des années 80/90 pour garder le pouvoir à Baabda., ou avec ses alliances contre nature avec des islamistes intégristes pour arriver au pouvoir. Alliances qui ont causé la destruction du pays économiquement, socialement, culturellement et a isolé le liban du monde entier. Il est déjà dans ce côté sombre de l’histoire. Y a pas de quoi en être fier d’ailleurs. Merci pour la publication. Et bon week end.

    LE FRANCOPHONE

    12 h 17, le 31 octobre 2020

  • On a pu constater à multiples occasions que Aoun est préoccupé par la préservation de la place de son gendre dans le gouvernement et l’occupation de son fauteuil jusqu’au bout quelqu’en soit le prix. D’abord pour le réserver à son Gendron qu’il essaie de protéger du scandale qui risque de leur éclater en pleine figure concernant le saccage des institutions et des pots de vin utilisé jusqu’à l’ivresse. Son comportement vis à vis de la révolution en dit long sur sa façon de voir les choses. Il utilise les mêmes manières que les fossoyeurs de la nation en réprimant avec force et brutalité tout en se mettant dans la position de celui qui est empêché pour redorer son blason. Promettre l’enfer à la population alors qu’il occupe le poste le plus influent de l’état at révèle son manque de personnalité et la situation plus que critique dans laquelle il s’est laissé influencé pour des fins personnels et familiales. A mon sens et vu la direction que prend la formation du gouvernement il est déjà dépassé par les événements et ne peut plus agir cette fois ci pour des raisons purement honteuses car renoncer à protéger son poulain signifierait qu’il savait et qu’il n’a rien fait pour empêcher que cela arrive avant les désastres annoncé. Surtout le drame du 4 août qui a meurtri les libanais et a signé sa fin tragique lorsqu’il a annoncé ne pas vouloir d’une enquête internationale. Jusqu’au bout il a trahi les libanais et on se demande si malgré la stature qu’il veut endosser il sera pardonné

    Sissi zayyat

    12 h 13, le 31 octobre 2020

  • Il existe une solution plus simple: il démissionne tout de suite et on élit un nouveau président

    Lecteur excédé par la censure

    11 h 45, le 31 octobre 2020

  • Quand on s'est venu pour un fauteuil à des non-libanais qui agissent uniquement pour un projet non-libanais...4 ans...ou deux de plus...ne changeront rien au désastre actuel qualifié "d'enfer" par lui-même ! - Irène Saïd

    Irene Said

    11 h 33, le 31 octobre 2020

  • C,EST ESPERER EN L,IMPOSSIBLE CHANGEMENT DE LA PERSONNALITE.

    LA LIBRE EXPRESSION

    09 h 07, le 31 octobre 2020

  • PLUS QUE DEUX ANS POUR QUE LES AUTRES SAUVENT CE QUE LES QUATRE ANS DU PRESENT MANDAT ONT DETRUIT.

    LA LIBRE EXPRESSION

    08 h 46, le 31 octobre 2020

  • Cher Mr Aoun l'ennemi clairement identifié de 1989: l'armée occupante assadienne, a livré le Liban a un Axe transnational dont son propre régime est un maillon essentiel et y a implanté la milice de cet Axe qui est toujours votre alliée.. L'ennemi assadien qui nuisait au Liban par sa propre armée continue à lui nuire par son Axe et sa Milice. L'ennemi n'a pas changé ! On ne peut même pas dire que le Liban est passé de la tutelle syrienne à la tutelle iranienne. Le régime iranien ne veut ni iraniser ni chiitiser le Liban, il veut uniquement le faire servir comme espace vital de son allié assadien qui sur son propre territoire est immergé dans une mer sunnite hostile. Le Liban en 1990 comme en 2020 a ses ressources tant humaines que financières ou industrielles qui sont détournées pour servir au profit du régime Assad. On ne peut donc pas dire qu'on est SORTIS de la tutelle syrienne pour passer à une AUTRE tutelle. C'est la même tutelle sous la forme plus subtile d'un Axe transnational de fins imposteurs plutôt que d'une occupation militaire brutale.

    Citoyen libanais

    08 h 35, le 31 octobre 2020

  • Intéressant...

    NAUFAL SORAYA

    07 h 18, le 31 octobre 2020

  • "il doit renverser la table et s’émanciper aussi bien de ses alliés que de sa propre famille politique ". Il a eu de multiples occasions de le faire. D'abord durant "l'état de grâce " de 100 jours accordé en général par l'opinion au nouveau président, puis après le déclenchement de la thaoura, enfin lors de la formation des divers gouvernements. La vérité qui apparaît clairement, c'est que "le changement et la réforme", c'est LUI qui les refuse. Le premier changement et la première réforme auraient dû consister à casser la logique de partage de gâteau lors de la formation du gouvernement, or c'est LUI qui a empêché le premier ministre désigné de le faire (prétendant que des candisats à un poste de ministre compétents et honnêtes ne pouvaient se trouver que sur la lune. Ou bien reprochant à Adib de ne as avoir demandé leur avis aux différents partis}..Bien sûr, pour opérer ce "changement", il faut un certain courage. Passer outre aux ordres de Nasrallah peut vous valoir une bombe sous votre voiture. mais, après tout, vu son âge, que peut-il attendre encore de la vie? Couronner sa tête de l'auréole du martyre ne serait-il pas la meilleure façon pour lui de tirer sa révérence? Enfin, le seppuku n'était-il pas pour les samouraïs la meilleure façon de reconquérir l'honneur perdu ?

    Yves Prevost

    07 h 16, le 31 octobre 2020

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